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lundi 18 janvier 2016

overland track


On définit un système par son évolution dans ses limites. En repoussant ses mêmes limites -que l'on découvre pas à pas- il est possible de se réjouir de cette nouvelle amplitude de vie et fixer les bonnes règles du jeu dans ces espaces vierge. C'est comme devenir soudain un oiseau avec en main les clés de sa propre cage.
On doit rejoindre le début de la randonnée dans le parc naturel de Craddle mountain en stop depuis Launceston soit 2h de route. On galère à trouver des gens qui nous emmènent jusqu'au bout du monde et il se fait tard. On se retrouve parachutés en fin de journée à Deloraine, un village folklo au milieu de rien pendant la saint Patrick. Nous décidons de faire le point sur la situation dans un pub irlandais en se rassasiant d'une pinte ou deux de guiness. On est clairement des intrus qui ne peuvent être que perdus (ou pas loin de l'être) avec nos sacs de rando et notre paquetage de grands vagabonds. Néanmoins, converser avec le cinq majeur des piliers de bar nous emmène sur la trace de belles histoires de rustres locaux au larynx fatigué et l’œil vitreux mais nous permet d'édifier la meilleure stratégie afin de parvenir à nos objectifs repoussés au lendemain. La joyeuse compagnie nocturne se prenant d'un élan de compassion collectif, un appel au covoiturage est lancé pour nous déposer plus loin sur la route vers un terrain campable. La serveuse décide de nous emmener à la fin de son service et nous offre de l'antigel et quelques douceurs pour notre rude épreuve, de quoi passer une bonne nuit dans un abris en bois du terrain de foot du hameau. Sérieusement, ce bled suranné est sortit d'un film. Au réveil, on replie la tente et on se positionne sur la route, déserte. Arrêtés dans le temps. Pas un bruit ne vibre dans la brume levante de Mole creek, a t'on commencé notre trek? Visiblement il ne faut pas compter être emmené rapidement, même la pompe à essence mécanique a eu le temps de rouiller. Finalement un grand gaillard en 4*4 nous fait monter dans son tank et prend les petites routes en terre "c'est plus long mais c'est plus beau -sic" et nous montre les recoins de sa campagne chérie, nous parle des roches, nous donne le nom et l'usage des plantes, décode le chant des oiseaux... C'est un bûcheron passionné par le partage de connaissance de son pays et amoureux de la nature. Dans sa folle jeunesse, il a monté un barbecue, des steaks et un fut de bière en haut de la plus haute montagne de Tasmanie pour un pique nique insolite entre potes (accessible après plusieurs heures de marche) et ainsi créé une légende locale que je me permet de transcrire ici.
Pour les 20 derniers km pluvieux, un employé de la poste nous amènera jusque dans le parc national pendant sa tournée en nous souhaitant du courage et surtout une bonne dose d'extase pour ce voyage.
L'impatience de commencer cette marche nous titille les godasses, on accroche notre permis au sac ne contenant que le nécessaire et nous voilà en face du premier pas, sans retour possible. Comme une première emprunte sur une planète mystérieuse, maintenant peut se graver notre histoire -peut être différente de ce que j'aurais pu imaginer.
Je ne connais pas vraiment le rythme de marche de Tristan, ce qui pourrait redéfinir les options du parcours. Le tronc commun minimum conseillé en 5 jours ne fait que 65km. Il serait dommage de passer à coté de tant de zones reculées sans s'y attarder un peu, trouver son coin de paix et ressentir l'exaltation qui anime tout explorateur. C'est comme si vous pensiez avoir visité un pays en l'ayant traversé par l'autoroute. C'est faux. Il faut se retrouver embourbé et contemplatif à la fois. Mais le plus intéressant selon moi réside dans la perte volontaire de ses limites dans l'effort. Il va de soi qu'il faut s'éloigner du tronc et jouer les équilibristes des fines branches pour se nourrir des meilleurs fruits. C'est pour ça que nous marchons. Pour ce mal libérateur que la fierté et la splendeur estompe. Nous vagabondons pour toucher crûment nos pensées, pour éclaircir des idées appelant à la solitude et au calme. Nous cherchons dans l'épuisement une lénification rêveuse et une récompense spirituelle au milieu de la pureté sauvage. Et c'est à un carrefour que l'intrigue prend des traits de magie et nous écarte de notre zone de confort. Les plaines marécageuses aux ambiances mystiques prennent soudain tout leur sens en nous projetant dans un univers fantastique. Catapulté au temps des légendes, il me semble par moments de ne pas appartenir au monde que je connais. Je veille à l'arrivée d'éventuels zombies ou gobelins en rentrant dans un bosquet croupi sans âge, ressort sur une vallée verdoyante miniature aux inspirations de Tolkien, hume l’âpreté de l'humus sous le craquement des branches

 
Craddle mountain est le sommet de Tasmanie par excellence. De par sa forme le panorama qu'il offre, il est spécial. C'est une chouette ascension qui se termine en section technique demandant du sang froid et du souffle. Il me semble que l'altitude aie dédrapé le manteau végétal de ce mordor de dolérite sombre bordé par le calme lac dove (le lac colombe), réfléchissant les gerçures et rides granuleuses que le temps à façonné. Le vaste toit apparaît sous une forêt de colonne étroite surgissant d'une mer de vapeur froide, suintant sur les imposants blocs angulaire erratiquement entassés dans l'escarpement difficilement devinable. On ne voit pas à plus de 30 mètres et on tâtonne les cubes a escalader, un à un, jusqu'aux aiguilles dressées en antennes, derniers remparts scindant les nuages et la terre. Nous sommes allé toucher le ciel et nous continuons ainsi notre rêve fougueux dans l'opacité de l'inconnu et dégrafons le voile de l’impalpable aventure, silencieux, profonds, conquérants.



On se désaltère pour la première fois à une source sauvage, ruisselant sur de la mousse émeraude. Je ne distingue pas si le scintillement cristallin provient des perles de l'eau ou bien du tapis de velours sur lequel elles prennent vie. Car en vérité nous sommes semblable à ces gouttes. C'est un sentiment libérateur que d'exister de cette plus pure des manières. Sans artifices ni fioritures. Ce qui est propre devient distinct du sain. Je retrouve en cette sobriété le rythme primaire de la danse entre l'âme songeuse et l'instinct. Et je cavale, et je bondis dans le plus simple des balais, accouché de la montagne pour en devenir un fragment, dévalant ses sillons pour en rejoindre le berceau.


Le crachat ambiant réveille nos grimaces crispées par l'inconfort de l'humidité. Cette saleté de flotte est rentrée dans nos godasses à force de traverser les rivières et marcher dans les flaques. Rien ne sèche vraiment dans les refuges, ni les chaussettes, ni les semelles (que je viens d'oublier de reprendre). L'inévitable condensation des vitres intérieure et l'intermittence de tiédeur du poêle surchargé d'habit trempés ne laisse pas envisager une amélioration de confort de marche futur.


Deux silhouettes enthousiastes disparaissent dans la brume s'épaississant, ballottant leur carapace comme de fiers escargots bédouins à deux bosses formant une caravane sans soie sur la route des pauvres, nous la gagnons un peu tout les jours.


Pelion hut
Nous avons pensé puis réévalué chaque soir nos plans, notre avancée, nos vivres et notre forme physique depuis les refuges dispatchés le long du parcours. Ce sont des chalets plus ou moins fruste avec des tables à l'intérieur et une capacité de couchage assez variée. On doit être une quinzaine de randonneurs à se croiser sur les chemins et a partager tantôt les mêmes chambres, chacun recherchant son repos et son moment d'intimité dans ces timides espaces assombris. On se réjouit d'être au sein de ce cocon de bois à boire nos soupes dans un simili silence où nous sommes une parfaite allégorie des porcs-épics de Schopenhauer.
Le froid et l'humidité de notre équipement semble ne jamais nous lâcher. Je ne pourrai jamais oublier l'inconfort frissonnant de l'enfilage des chaussettes froides et moites, grinçant la peau blanchie, fripée et malmenée.
J'entreprends un footing au lever du jour jusqu'à une cascade sur le chemin du mont Oakleigh que j'envisage de grimper puis, revenir prendre mon sac au refuge après le petit déjeuné à la soupe. Le petit poêle à charbon a rendu son dernier suffoquement de tiédeur il y a des heures, juste assez pour faire pleurer les vitres du refuge saturant la sueur des randonneurs revenus un peu plus tard de leur périple. Les chaussures, aussi étanches soient elles, sont inefficaces quand l'eau boueuse dépasse le niveau de la cheville. On doit marcher dans un ruisseau pendant 4 km sous la pluie qui ne s'arrête jamais. On ne prête même plus attention à la profondeur de nos pas dans ce bourbier interminable. Cette section est pénible et le flou de la pluie brouille la possibilité d'imaginer un horizon clair. Heureusement, bientôt la météo changera et nous pourrons goûter au plaisir de la marche dans des conditions optimales.


Le Mt Ossa est la montagne la plus haute de Tasmanie (1617m) et ressemble géologiquement à Craddle mountain, un sommet qui se termine en escalade abrupte et offre une superbe vue sur la pinestone valley. Pendant l’ascension, on a été pris dans une averse de neige balayé par un vent glacial. Il neige en Australie, je ne m'étais même pas imaginé ça possible à cette période! Nous atteignons le pic entre deux congestions arrivant par le Nord, ne laissant que quelques minutes pour observer le spectacle panoramique et redescendre.



Les occasions pour un brin de toilette se faisant rare (si on ne veux pas mourir de froid à se rincer dehors à la tombée de la nuit) je profite d'une pause au bord d'une rivière immaculée au pieds de la cascade Hartnett falls pour me dessaler la peau.


The labirynth est une marche optionnelle de 2h depuis le refuge de Pine Vallet hut, peu fréquenté, le chemin grimpe sévèrement dans la forêt jusqu'aux deux lacs à travers le plateau marécageux. On décide de couper dans les buissons pour attraper la vue panoramique d'un sommet adjacent. De notre sublime perchoir ensoleillé nous apercevons le lac St-clair, la dernière étape du treck. On ne distingue plus le point de départ de ce matin entre les montagnes, c'est fou cette distorsion de l'espace. On pourrait finir l'Overland demain en ayant une grosse journée. Ce moment de relaxation et de contemplation est sublime, rôtis par le soleil qu'on attentais tant, à rigoler et à soupirer que le monde est beau quand il est vierge et calme.


Mes semelles manquantes expliquent les ampoules multiples qui se superposent avec les plissures des pieds des tranchées naissants. Les 30km de cette belle et longue journée se font ressentir.

Dimanche 22 mars
On s'arrête à la hutte de écho point au bord du lac Saint Clair, le lac le plus profond d'Australie.
Je nage un peu dans l'eau froide entourée des montagnes après une sieste au soleil sur la jetée d'où certains bateaux peuvent y déposer des randonneurs touriste. Ce bain revigorant estompe un peu cette odeur sauvage qui nous suis au fur et à mesure de l'effort. Il y a un temps magnifique et une petite quinzaine de kilomètre nous sépare de l'arrivée. On a eut un bon rythme depuis le début, on a un jour d'avance sur ce qui est prévu alors plutôt que d'arriver en morceaux à la tombée de la nuit on décide de se prélasser autour de notre cabane et profiter des vacances camping. On se lie d'amitié avec un instituteur retraité espagnol de los cahorros de monachil, un petit village vers Grenada où j'ai trainé un été il y a 5 ans. Cet énergumène randonne avec un parapluie et un tout petit sac, ne mange presque rien et cantonne ses aventures à un minimalisme pittoresque bluffant. Il y a des petites vieilles aussi, qui jouent au scrabble sur une souche entre la petite plage et le ruisseau. Un groupe de courageuses en retraite qui ont le temps et qui savent le prendre avec charme. Je m'intéresse aux bois des alentours d'un œil plus précis. Quand on marche, on voit la mousse et les arbres comme un ensemble mais voit-on les minuscules détails qui se développent en lui? Les champignons colorés, le dessin des écorces, les talents d'architecte des araignées... c'est un gigantesque théâtre oublié.

On a un poêle à bois pour 8 personnes et le volume restreint rend facile la transformation du refuge en sauna. Je rentre un maximum de bûches pour la nuit et nous finissons tous par ouvrir les sacs de couchage et nous éplucher de toutes les couches de vêtements au bout de 15 minutes. Même si c'est le bois qu'on a ramassé, j'ai un peu abusé, on ne rattrape pas les nuits froides passées en se faisant cuire à l'étuvée. Une chose est sure c'est que l'équipement sera sec demain matin pour finir en beauté.


En cinq jours et demi, nous aurons laissé plus d'une centaine de kilomètre derrière et un sentiment de liberté admiratif hypnotisant. Bien qu’intérieurement je suis fier d'avoir partagé cette aventure avec Titou, je ne veux pas qu'elle se termine si tôt, je fantasme à l'idée de retrouver un minimum de confort et m'évade en pensant aux fabuleuses expériences que nous avons vécu ensemble.




"Allez aussi loin que vous pouvez le voir, et quand vous y arriverez, vous verrez plus loin." 


T Carlyle.