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mercredi 24 février 2016

Tasi suite

Contrairement à l'image qu'il dégage, le culot n'est pas un défaut, il mène à de magnifiques rencontres.

Fatigués et à la fin du treck de L'Overland track, on essaye de rejoindre la route principale pour faire du stop et rejoindre Hobbart, la plus grande ville de l’île. Vu l'état dans lequel on est, il est fort probable que personne ne s'arrête pour transporter 2 backpackers boueux pour 3h de trajet. Je m'approche d'un couple d'une cinquantaine d'année et leur expose nos plans. L’apitoiement ou la gentillesse de ces quinquagénaires nous amène jusqu'aux porte d'un YHA (auberge de jeunesse) qu'ils ont recherchés pour nous. Le mec est un ancien compétiteur international de parachutisme, il a tenu parole et il est allé boire un verre dans le restau de Tristan à Melbourne quelques semaines après. C'est ce type de rencontre qui fait la joie des voyageurs, pas un quelconque trajet en bus.


En rentrant du pub irlandais ou on était allé se remplir d'une série de plats non déshydratée on rencontre Jane, une canadienne qui loge au même hostel que nous. Avoir un peu de compagnie de voyage après cette longue trêve de contact social nous charme et elle à l'air facile à vivre. On a pour projet de partir demain matin pour un périple sur la côte. Elle s'incruste à notre recherche de subtil éclat d'aventures, de cocktails pédestre et découvertes. Notre joyeuse troupe autostope au petit matin pour le parque National de Freycinet dans le Sud Est. On nous a maintes et maintes fois conté les louanges de cette région costale. Je suis a fond, je sais que l'on va trouver des ballades sympas bien loin de l'effort que l'on viens de terminer dans le Craddle NP. Il nous faudra 3 bus et 5 voitures différentes pour atteindre cette péninsule charismatique plus connue pour l'iconique plage de Wine glass bay. Certaines portions de voyage resteront épique grâce à la personnalité de certains conducteurs. On tombe sur un rockeur type loubard authentique des années 70, qui débarque de nulle part, led zepplin à fond la caisse, veste en jean et lunettes de soleil qui ne laissent pas entrevoir son regard. Sans sourciller il mâchonne avec un accent un bref : "Vous allez où? - Coles bay M'nsieur" On monte et il reclaque aussitôt immigrant song à en décoller la stéréo des portières. Il conduit, imperturbable, négocie les courbes des côtes comme un pilote concentré. Un gênant 5 minutes sans un mot à échanger par ce que Jim Morrison miaule dans le Pioneer. Nos trois regards se croisent sans pour autant oser tourner la tête et je saisi alors le second sens de "mur du son". Ce mec est une légende de caractère. Sa langue se délie tout à coup et il devient vite notre pote, comme si la décharge de tension accumulée avait pu profondément dévoiler ces multiples facettes avec une générosité tasmanienne bluffante. On fait un pitstop dans un rade, comme pour dérouiller les éperons des santiags et reposer les bêtes, on joue au billard et on boit un coup ensemble avant d'arriver à destination. On a pas vu le temps passer. C'est un électron libre aux atomes crochus qu'on a pas envie de voir partir. C'est ça le rock, des collisions rapides et inattendues qui étourdissent et qui crachent le feu.


On nous a conseillé de monter le mont Amos faisant partie du massif des hazards. Une montée abrupte entre blocs de granit gris rosé à escalader et une appréhension difficile des surfaces patinée. Le but est de se retrouver sur le sommet pour admirer la toile qui se cache de l'autre côté de cette étroite péninsule et se relaxer dans un coin isolé pendant l'après midi.



Le soleil a décidé de nous accompagner toute la journée pour la plus belle des vue sur la plage de wine glass bay. Autrefois, cette ancienne plage commerciale pleurait rouge le sang des baleines que l'on découpait sur place, la teinte macabre se déversant sur le rivage arqué aux formes de verre ballon lui vaut son surnom (baie du verre à vin). Un bien sinistre blase comparable à Omaha beach en Normandie et sa red beach. Nous décidons d'un arrêt picnic, yoga et contemplation au sommet, nous scotchant quelques heures dans cet endroit majestueux.



 Nous descendons rapidement le versant Est pour se donner à une nage rafraîchissante alors que les derniers rayons de soleil se donnent en spectacle dernière les montagnes vermeille. Les taches de licken orange et les vagues qui dansent autour caressent le doux soupir du crépuscule. Pour engourdir le froid qui nous a envahit, je prépare une infusion d'herbes trouvées au long du chemin avec le réchaud de camping. La nuit s'allume sur les rochers de Coles Bay d'où on passe nos soirées à mater les étoiles et compter les nuages fauves. On tient l'instant.



C'est vraiment à faire, la Tasmanie. Les cailloux et les forêts, les choses qu'on y trouve ont une proportion différente, avec plus de profondeur, chez les gens aussi.

Nous faisons cap au sud, toujours sur la côte dans le Tasman national park, eaglehawk neck.
J'ai lu quelque part que la plongée est assez populaire grâce à la visibilité de ces eaux assez remarquable et que j'aurais peut être la chance de rencontrer des otaries ou des dragons de mer (weedy sea dragons) cette étrange créature colorée proche de l’hippocampe (mais en bien plus gros). L'eau est fraîche et la stabilisation avec la combinaison de 7mm est plus difficile que dans les eaux tropicales. Il faut un petit temps d'adaptation et surtout rester très calme. Le courant vacille périodiquement et chamboule le référentiel terrestre. Le fond est une forêt de grands varechs (algues) qui semblent immobile et ce sont les roches qui répètent la mesure du disque rayé de la houle. C'est troublant de se faire duper par un sol enivré qui défile sans que l'on bouge, c'est l'ivresse étrange que procure la mer à boire. Je me rends compte en arrivant au port que j'ai laissé mon téléphone dans ma poche pendant les plongées. Ne sait on jamais, en cas d'urgence j'aurais éventuellement pu appeler le capitaine Némo... La pêche à la ligne me fait découvrir que la portée des ondes GSM tombent à l'eau. On croise 2 dragons d'une quarantaine de centimètre nageant au ralenti et pas mal d'invertébrés colorés. Au retour j'aide l'instructrice à retrouver une pièce de bateau tombée dans la rade à 8m de profondeur. Elle a encore ces bouteilles contrairement à moi. Après une dizaine de plongée en apnée on abandonne, mes tympans aussi.





On va crapahuter sur le haut des falaises à devils kitchen, une arche en pierre s'ouvrant en grotte au clapotis profond puis on surplombe waterfall bay, le site de pongée de ce matin. Une cascade saute du plateau, faufilée entre les eucalyptus et se déverse dans les sombres eaux de la mer de Tasman. A cet endroit vous trouverez le plus grand réseau de grottes et passages souterrains d'Australie, un vrai dédale de gruyère!
Devil's kitchen n'est pas loin non plus. Une arche rongée par les vagues embrasse un reclus fermé et protège de la violence des courants qui frappe lourdement les clapotis de ces berges encastrées dans une caisse de résonance.
Je vous recommande les Tessellated pavements, une autre jolie ballade le long de la côte de eagle hawk. Si la marée est avec vous, les derniers rayons de soleil viendrons se refléter en cluster rectangulaires sous les embruns. Vous y verrez aussi de longs tapis de coquillages colorés roulant un bruit calmant cristallin de bâton de pluie. La pêche à la St Jacques et aux ormeaux (magnifique mollusque colorés appelé abalone) est une activité locale répandue, la qualité des produits de la mer est en général excellent.



De retour à Hobbart, chef lieu et ville la plus peuplée, on passe une fête de folie. Les deux loups inarrêtabes sont lâchés dans les bars jusqu'au bout de la nuit et y font de bonnes rencontres.

La grisaille extérieure nous attire à la dégustation de whisky de la distillerie Lark. On nous apporte 4 verres ravissant les papilles et mordant les lèvres d'un puissant baiser tourbé. Cette île dont tout le monde se fout a réussit à se faire élire parmi les meilleurs whisky au monde en quelques dizaines d'année. 17 000 km les séparent du berceau roi des écossais -ancestraux maîtres distillateurs- et un beau jour, un gars viens chambouler le paysage avec ces élixirs balancés exceptionnels. La mondialisation a permis l'échange de matières premières mais dans certains cas chauvins, le terroir prends une place aussi importante que le savoir faire -qui lui- se partage au grand plaisir de tous. Ici, on est loin des bobos culinaire des capitales qui s'astiquent le macaron avec des assemblages fantaisistes, le gout est dans le produit pas dans le panache de l'extravagance.

Tristan est repartit à Melbourne avant moi, j'avais pris un aller simple, je comptais aviser sur place au cas où un coup de foudre aurait provoqué l'envie de marcher un bonus de 90 km sur la côte coupée du monde du Sud Ouest. C'était dans mes projets et ça l'est toujours. Prendre éventuellement un zinc et se faire parachuter à Melaleuca puis suivre le sentier sauvage de la South West coast direction Est en totale autonomie, arriver 6 jours plus tard l'âme encore moins leste et le coeur grandi. Un autre challenge à garder dans un coin de l'esprit pour les périodes de songe et de recentrage...

L'ascension du Mt Wellington est vraiment à prévoir pour tout séjour à Hobbart. La vue au sommet est superbe et les tracés de montagne sont très jolis, passant par de petites cascades et des chemins verts. L'estuaire de Hobbart est bien ouvert et le dégagement qu'offre les pentes raides permettent un panorama intéressant malgré les hordes de photo-touristes bedonnant garés en tout terrain. J'ai un rythme soutenu sur les 18km que j’emprunte, ça grimpe mais j'adore voler au dessus des roches en courant. Je rêverais d'avoir une corde et des chaussons d'escalade. Dans les sous bois, j'aperçois avec joie un diable de Tasmanie, une sorte de blaireau à collier blanc à la mâchoire surpuissante, emblème de l'Etat en voie de disparition et plus gros carnivore d'Australie. C'était ma dernière occasion d'en voir en liberté et une fois de plus, la chance m'a souri.

Il existe un musée fou, un amas de non sens apparent, assemblé par la popularité du public et financé par l'extravagance désaxée d'un propriétaire milliardaire. Un lieu spécial où les règles du monde le l'art sont transgressées. La visite du musée de la MONA prends au minimum une demi journée et le transport par bateau militaire tagué et camouflé rose consiste une expérience artistique à elle même. Je pars avec une franco polonaise étudiante en art avec qui j'aime échanger nos interprétations et comprendre les différents regards sur les œuvres toutes plus folles les unes que les autres. En faisant un raccourcis, quasi tout les travaux tournent autours de l'industrialisation, l’Égypte antique, la numérologie, la merde et le sexe. Ça peux paraître étrange mais il y a un lien subtil à tisser entre tous ces sujets.

Voilà tout sur cette petite pointe dont tout le monde connait le diable mais peu parlent de sa terre qui est loin d'être un enfer. Je rentre à présent à Melbourne pour y travailler dur à l'aéroport, cet endroit où tout commence et où tout fini, où les langues se mélangent et les rêves se croisent. Je suis et je reste comme toujours, à l'intersection des mondes.